Erreur dans la destination des conclusions, une chanceuse décision de clémence
Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le :
01/02/2023
01
février
févr.
02
2023
À deux reprises déjà de ce début d’année 2023, il a été question de sévérité procédurale, à deux degrés particuliers : un vice de forme et un vice de fond. Dans les deux cas, l’un relatif à un défaut de signification préalable au représentant en justice, l’autre pour défaut de signification de conclusions en lien avec l’affaire, l’enjeu s’est révélé plus important qu’il n’y paraissait de prime abord. Mais dans les deux cas, la Cour de Cassation se montrait implacable. Il est temps de refermer cette trilogie par une décision de clémence. Pour changer.
La deuxième chambre civile, dans une décision du 20 octobre 2022, n°21-15.942, a ainsi indiqué :
« Vu l’article 910-1 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige.
7. Pour déclarer d’office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l’intimée postérieurement au 11 septembre 2020, l’arrêt retient qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération, que (le dispositif des) conclusions signifiées par l’intimée, qui mentionne « il est demandé au conseiller de la mise en état », est adressé au conseiller de la mise en état, et que l’indication « plaise à la cour », dans le corps des écritures, ne peut permettre de le corriger, de sorte que, les règles de procédure civile étant édictées afin de garantir aux parties, dans un cadre de sécurité juridique, un procès équitable, les conclusions de l’intimée du 11 septembre 2020 ne saisissent pas la cour d’appel et, le délai pour conclure n’ayant pas été suspendu, l’intimée n’a pas conclu dans le délai qui lui était imparti.
8. En statuant ainsi, alors que les conclusions au fond de Mme [G] contenaient une demande de réformation partielle du jugement ainsi que des prétentions et moyens sur le fond, et lui avaient été transmises par le RPVA, selon les exigences requises, la cour d’appel, qui en était saisie quand bien même elles comportaient une référence erronée au conseiller de la mise en état, et qui ne pouvait que les déclarer recevables, a violé le texte susvisé. »
Il était donc question d’une mauvaise énonciation de la juridiction à laquelle avaient été transmises les écritures en appel.
Ici, les conclusions au fond avaient été envoyées au conseiller de la mise en état.
Ce dernier, comme la cour d’appel, avaient considéré que cette erreur était un manquement à l’article 954 du Code de procédure civile, qui encadre notamment les écritures en appel et leur mode de rédaction.
Sauf que cet article ne mentionne aucunement l’obligation de préciser l’intitulé de la juridiction vers qui sont adressées ces écritures.
Un magistrat et une collégialité de conseillers ont pourtant suivi la voie de la sévérité. En se prévalant du droit au procès équitable !
Tout de même assez spectaculaire, car après avoir passé en revue les vices de fond et les vices de forme, seuls ces derniers auraient pu être mobilisés pour tenter de frapper de nullité les conclusions qui avaient à être notifiées dans un délai imparti.
Non seulement, il n’y avait pas de texte, mais plus encore, quel pouvait bien en être le grief ?
La Cour de Cassation, au moins, sonne la fin de la récréation, pour ne pas dire du bizutage, en renvoyant au contenu même de l’acte.
Ce qui a de quoi interpeller tout autant.
Le contenu pourrait sauver le contenant ? On a vu précédemment que la réciproque n’était pas exacte déjà, mais plus encore, la méthode employée paraît peu lisible.
Evidemment, il est louable que les écritures aient pu être sauvées – encore que c’est admettre de vivre dans une véritable jungle judiciaire pour être soulagé d’un tel péril – mais le raisonnement fait une nouvelle fois l’économie des conditions propres aux exceptions de nullité.
Et laisse trois impressions amères.
D’abord, celui d’un arbitraire interprétatif. Sans fondement juridique, sans syllogisme en découlant, l’enseignement prospectif est perdu. Était-on véritablement face à un vice de forme ? On a vu précédemment que la frontière de l’article 117 était trompeuse.
Or, la jurisprudence, dès lors qu’elle fait corps avec la règle légale, doit être soumise aux mêmes exigences d’accessibilité et d’intelligibilité. Ici, cette clémence est-elle due à une lecture rigoureuse des textes ou à un bon sentiment ?
Puis, un sentiment quelque peu d’impunité. Faut-il aller en cassation pour se voir accorder le droit à faire entendre sa prétention en appel en raison d’une simple erreur d’intitulé ? Si encore – encore ! – l’équivoque eut été de mise, pourquoi pas, mais là, le doute n’était pas permis. S’il ne l’était pas, alors il fallait l’éradiquer par une solution rigoureuse. Où était le manquement à la règle ? Où était le grief ? Nulle part, donc absence de nullité, et par conséquent, pas d’irrecevabilité.
Enfin, en répondant à un défaut formel par un argumentaire sur le fond, le débat a glissé. Certes, qualifiez les demandes et les moyens de la partie en appel, ce n’est pas à proprement parler du fond. Mais, c’est rendre otage l’enjeu autour du manquement allégué de dispositions qui n’y sont pas liées, et ainsi, le rendre tributaire d’une appréciation tierce.
Prise de tête ?
Dans un arrêt du 15 janvier 2019, la Cour d’appel de Bordeaux a rappelé que :
« Les diverses demandes de « dire et juger que » (…) ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions ».
Pareillement, il faut garder en tête qu’en procédure d’appel, on peut rectifier une formulation maladroite d’une écriture à une autre.
Est-ce à dire que si les conclusions, dont l’intitulé de la juridiction à qui elles avaient été envoyées, avaient été formulées par un fameux « dire et juger », elles n’auraient pas bénéficié de la clémence de la Cour, puisque démunies de prétention au fond empêchant de les distinguer de prétentions devant le conseiller de la mise en état ?
Idem, la demande en réformation partielle est aussi soumise à des règles de recevabilité, inscrites aux articles 561 et suivants du Code de procédure civile.
Sauter une étape du raisonnement a toujours un coût. Même si la solution est identique, la précision du siège même de la question doit faire l’objet d’une attention constante. Il est tout de même troublant que si des considérations relativement abordables, accessibles à la compréhension de tous, ne décelant pas des enjeux d’une singulière technicité, les choses en soient à l’approximation.
Gagner pour de mauvaises raisons ne relève rien de plus que de la chance. Pas de la clémence.
Reste à y prendre garde. Si on le peut.
Cet article n'engage que son auteur.
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