Prescription et nullité d’une vente immobilière : action personnelle ou action réelle ?
Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le :
09/02/2023
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Par un arrêt du 11 janvier dernier (n°21-22.467), la troisième chambre civile de la Cour de Cassation est venue s’attaquer à un totem de la procédure civile, celui du délai prescription extinctive. Oui, mais lequel ? C’est tout l’enjeu. Revenons-y.
Il y était question d’une assignation signifiée en 2015 aux fins de voir ordonner la résolution d’une vente datant de 1974 pour défaut de paiement du prix, à laquelle le défendeur va opposer justement ce délai de prescription.
La cour d’appel de Fort-de-France, le 30 mars 2021, va accueillir cette irrecevabilité.
Dans son pourvoi, la demanderesse rappelle que les actions réelles immobilières bénéficient d’un délai de prescription trentenaire, et que la demande en restitution d’un bien immobilier ne relevait donc pas du droit commun, c’est-à-dire du délai de cinq années, propre aux actions personnelles.
Et que quand bien même, ce dernier délai ne court qu’à compter du jour de la connaissance des faits permettant l’exercice de cette action. Or, ce n’est que le 19 juin 2008 qu’elle en a saisi la teneur.
Enfin, un argumentaire relatif à l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et tant qu’à y être, de son premier protocole additionnel, était également en soutien de ses prétentions.
La réponse de la Cour est sans équivoque :
« 6. Il est jugé que la résolution d'une vente pour défaut de paiement du prix par l'acquéreur tend à sanctionner une obligation de nature personnelle, de sorte qu'elle est soumise à la prescription de l'article 2224 du code civil (3e Civ., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-23.602, publié).
7. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu à bon droit que l'action engagée par Mme [P] ne portant pas sur un droit de propriété afférent à un bien immobilier qu'il s'agirait de reconnaître ou de protéger, mais tendant à l'anéantissement d'une vente fondée sur le défaut de paiement du prix, n'était pas une action réelle immobilière, mais une action personnelle, soumise au délai de prescription quinquennale tel que défini par les nouvelles dispositions de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
8. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches sur la date à laquelle Mme [P] avait pu percevoir la nécessité d'agir et sur l'atteinte disproportionnée portée à ses droits qui n'étaient pas demandées, que, quand bien même le délai de prescription de l'action en résolution de la vente conclue le 4 avril 1974, antérieurement fixé à trente ans, aurait été interrompu par la reconnaissance, par [L] [P], du non-paiement du prix de vente, l'action en résolution aurait dû être introduite avant le 19 juin 2013, de sorte que, l'ayant été le 17 septembre 2015, elle était prescrite. »
Il s’agissait donc d’une action personnelle, et non d’une action réelle.
La motivation de la cour d’appel, validée par la Cour de Cassation, mérite d’être exposée, car peut-être plus pédagogue :
« Ainsi, la cour fait sienne la motivation du premier juge qui a retenu que l'action en résolution de la vente engagée par Madame Z C pour défaut de paiement du prix n'est pas une action réelle immobilière mais une action personnelle, soumise au délai de prescription quinquennale, tel que défini par les nouvelles dispositions de la loi du 17 juin 2008 ;
que quand bien même le délai de prescription de l'action en résolution de la vente conclue le 4 avril 1974, antérieurement fixé à 30 ans, aurait été interrompu par l'action engagée le 5 octobre 2000 puis par la reconnaissance par Monsieur E C le 17 février 2003 du non paiement du prix de vente, l'action en résolution aurait du être introduite avant le 19 juin 2013, or, elle ne l'a été que par exploit d'huissier du 17 septembre 2015. »
Si le dernier acte interruptif de la prescription a été en 2003, l’action personnelle n’aurait-elle pas due être prescrite en 2008 ?
C’est là qu’intervient le spectre de la loi du 17 juin 2008 qui a précisément réformé le droit de la prescription extinctive.
Avant elle, les actions nées d’un contrat bénéficiaient d’un délai de trente ans. Par conséquent, au 17 février 2003, la demanderesse avait jusqu’au 18 février 2033 pour agir (et pas jusqu’au 19, le 18 février n’étant pas un dimanche).
Intervient la loi de 2008, qui instaure ce nouveau délai quinquennal, et qui adopte une mesure transitoire : tous les délais concernés sont certes assujettis, mais interrompus.
D’où le 2013.
Mais quid du 19 juin ?
Tout simplement que l’entrée en vigueur de cette loi était le 18 juin, et que comme rappelé dans un arrêt du 21 janvier 2009 rendu par la même chambre (n°07-18.533) :
« Lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf dispositions contraires, du jour de l'entrée en vigueur de loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».
Donc, au maximum, jusqu’au 19 juin à minuit.
Beaucoup de lignes pour trop de calculs. L’intérêt de la décision n’est pas dans la date fatidique, même s’il fallait en passer par là pour bien comprendre.
En somme, cette décision met la focale sur le contenant au détriment du contenu.
Certes, le contrat de vente était relatif à un bien immobilier, mais l’action en justice, elle, visait le comportement de l’acheteur.
Comportement qui est une action personnelle.
Elle cite néanmoins un arrêt, celui du 2 mars 2022 (n°20-23.602) qui mérite là encore d’être rappelé :
« 16. Pour déclarer l'action recevable, l'arrêt retient que l'imprescriptibilité du droit de propriété emporte celle de l'action en revendication et que la résolution judiciaire de la vente aux enchères du 2 octobre 2007 pour défaut de paiement du prix d'adjudication ne constitue pas une demande en paiement du prix, mais est destinée à protéger la propriété et se trouve soumise à la prescription trentenaire.
#3 17. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'un arrêt irrévocable du 22 septembre 2008 avait jugé que le droit de substitution avait été valablement exercé par M. [D] [S] et l'avait déclaré adjudicataire de la parcelle litigieuse et alors que le point de départ du délai de prescription de l'action en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix est l'expiration du délai dont disposait l'adjudicataire pour s'acquitter du prix de vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Vous avez bien lu.
Dans cette décision, la Cour de Cassation désapprouvait une cour d’appel qui avait tenu le raisonnement inverse à celui exprimé par celle de Fort-de-France dans le cas qui nous intéresse présentement.
C’est donc que les choses n’étaient pas si évidentes que cela.
Plus intéressant encore : au moment du pourvoi, cette décision du 2 mars 2022 n’avait pas été rendue. On serait même tenté de dire que l’arrêt de Fort-de-France était en contradiction avec la jurisprudence établie. Et donc que le pourvoi était loin d’être absurde.
Tout de même piégeux.
Ce qui démontre bien une nouvelle fois que malgré la teneur des termes employés par la Cour, les questions qui lui sont posées ont toujours une pertinence.
Certes, cette décision de 2023 vient conforter celle de 2022. Mais elle met en évidence que les juges du fond n’ont pas spontanément eu cette lecture.
Or, on parle quand même de l’application d’une loi qui date depuis près de quinze ans, et ce sur un aspect fondamentalissime (le terme n’est pas de trop) de la procédure civile.
Feu mon grand-père disait toujours qu’ « un arrêt ne valait pas une raison ».
Cet article n'engage que son auteur.
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