Avocat au Barreau de SAINT-GAUDENS
Commissaire de justice

Alerte aux huissiers ! PV 659 : le seul voisinage ne suffit pas

Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le : 14/02/2023 14 février févr. 02 2023

Le principe du contradictoire impose évidemment d’appeler l’ensemble des parties concernées dans la cause. Mais quid de l’adversaire n’a aucune adresse connue ? La réponse est inscrite dans le si usitée article 659 du Code de procédure civile :

« Lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.

Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.

Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.

Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale qui n'a plus d'établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés. »

On saisit cependant les enjeux entourant cet article.

En effet, il en va tant de la partie demanderesse, qui ne saurait être empêchée de voir son droit d’agir en justice du seul fait de sa méconnaissance du lieu de résidence actuel du défendeur, et il en va tout autant pour lui de pouvoir être dûment convoqué et de protéger ses propres intérêts. 

Il en est tout particulièrement ainsi lors de la signification d'un jugement réputé contradictoire, qui fait courir le délai d'appel et conditionne rien de moins que le droit d’accès au juge de la partie non comparante condamnée en première instance

Cet article consacre à lui seul une problématique d’équilibre qui parcourt l’ensemble du Code de procédure civile. 

Par conséquence, la question des diligences accomplies est fondamentale : tout repose sur l’huissier.

En ce sens, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 11 janvier 2002 (n°2001/11312) :

« Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 654 et suivants du nouveau code de procédure civile que la signification doit être faite à personne et que la procédure de l'article 659 du même code ne peut valablement être mise en œuvre que dans les cas où les diligences nécessaires, au regard du cas d'espèce, n'ont permis de découvrir ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail de la personne à qui l'acte doit être signifié ; »

Et concrètement ? Les huissiers interrogent le voisinage pour vérifier l’attache de la partie assignée avec les lieux présentés. 

Sauf que la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a entendu dans sa décision du 12 janvier 2023 (n°21-17.842) a sonné la fin d’une pratique usuelle :

« Vu les articles 655 et 656 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ces textes que si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré à domicile, l’huissier de justice devant relater dans l’acte les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances qui l’en ont empêché, ainsi que les vérifications effectuées pour s’assurer que le destinataire de l’acte demeure bien à l’adresse indiquée.

5. Pour rejeter l’exception de nullité de la signification du jugement du 30 novembre 2017, l’arrêt retient que l’huissier de justice s’est assuré de la réalité de l’adresse de Mme [Z] correspondant à celle du jugement signifié, en obtenant confirmation par un voisin, de sorte qu’il n’avait pas à rechercher par d’autres moyen une adresse.

6. En statuant ainsi, alors que la constatation de la seule vérification auprès d’un voisin est insuffisante à caractériser les diligences requises pour s’assurer de la réalité de ce domicile, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mai 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; »

Comme toujours, il faut poursuivre l’étude en reprenant l’arrêt de la Cour d’appel (n° 21/00220) :

« Il résulte de l'acte critiqué signifié par dépôt en son étude, que l'huissier, qui a bien fait mention des modalités de l'appel possible à l'encontre du jugement querellé, s'est assuré de la réalité de l'adresse de Madame D A correspondant à celle du jugement signifié en obtenant confirmation par un voisin. Dès lors, aucune raison ne commandait que l'huissier recherche par d'autres moyens une autre adresse, laquelle a été cachée par Madame D A qui a fait croire lors de la signature du bail qu'elle habiterait avec Madame G, alors en situation précaire, ainsi qu'elle l'indique à ses écritures.
En conséquence, la signification du jugement en date du 2 mars 2018 n'encourt pas de grief et elle a valablement fait débuter le délai d'appel d'un mois mentionné à cet acte. »

Reste donc à savoir si c’est l’enquête de voisinage en elle-même qui pose difficulté, ou le fait d’avoir interrogé un seul voisin pour déterminer la réalité du domicile ?

Dans un arrêt du 11 mai 2017 (n°16-15.500), la deuxième chambre civile était venue rappeler que :

« Attendu que pour déclarer régulière la signification, l'arrêt relève que le clerc assermenté a constaté au ...que la boîte aux lettres était remplie de courrier et que M. X... ne serait plus domicilié à cette adresse ce qui lui a été confirmé par la société Sofilogis, qu'ainsi des diligences suffisantes ont été accomplies pour retrouver le domicile du débiteur […]

Qu'en statuant ainsi, en se fondant sur des mentions qui n'établissaient que l'absence de domicile, de résidence ou de lieu de travail connus du destinataire de l'acte et qui étaient impropres à justifier de diligences accomplies pour rechercher celui-ci, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; »

Bref, l’huissier doit tout faire pour retrouver la dernière adresse.

Et interroger le voisinage ne suffit pas à lui seul. Pas plus d’ailleurs que le nom sur la boîte aux lettres.

Mais alors quoi ?

L’arrêt rendu le 8 mars 2006 (n° 04-19.140) par la deuxième chambre civile se montre plus pédagogue :

« Mais attendu que l'arrêt retient qu'il résultait de l'acte de signification du 22 août 2001 que le nom des consorts X... figurait sur la boîte aux lettres et qu'un voisin avait confirmé leur domiciliation ... à Hyères ; qu'en outre, dans l'acte d'appel du 14 décembre 2001, les consorts X... s'étaient encore domiciliés à cette adresse ; que le siège social de la SCI Les Moulins d'Hyères y était toujours établi ; qu'il résultait d'un procès-verbal de constat du 23 avril 2003 que les consorts X... étaient toujours propriétaires d'une maison d'habitation à ladite adresse où ils venaient régulièrement ;

#2 Que de ces constatations et énonciations qui caractérisent les vérifications imposées à l'huissier de justice par les dispositions de l'article 656 du nouveau Code de procédure civile, et dès lors que l'huissier de justice n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès desquelles il s'assurait du domicile, la cour d'appel a exactement déduit que l'acte de signification qui pouvait être préimprimé était régulier ; »

Autre explication, dans la décision rendue par la même chambre le 10 février 2011 n° 10-11.944 :

« […] et ayant constaté que l'huissier de justice avait reçu confirmation de la réalité du domicile de M. Y... à l'adresse de signification, située sur l'Ile d'Oléron, par un voisin et la mairie et qu'il n'était pas démontré que la lettre simple prévue à l'article 658 du code de procédure civile aurait été retournée, pour adresse incorrecte ou impossibilité de délivrance, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de déclarer régulière la signification de l'assignation à l'audience d'orientation ;»

La mairie et l’absence de retour de la lettre. 

Plus encore, c’est ainsi un ensemble de diligences qui permet de respecter les exigences en la matière, et il ne faut pas être avare d’investigations. 

Si évidemment les huissiers sont les plus concernés par ce rappel, il appartient également aux professionnels du droit d’y veiller. 

L’enjeu de la signification est une nouvelle fois si majeur que tant en demande qu’en défense, les avocats ont un vif intérêt à aller sonder ce fantastique gisement à nullités assurées. 


Cet article n'engage que son auteur.

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