La garantie d'éviction est une garantie applicable à toutes les ventes et trouve son fondement aux articles 1625 et 1626 du Code civil
Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le :
10/01/2023
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2023
Le premier de ces textes dispose que le vendeur doit garantir à l'acquéreur « la possession paisible de la chose vendue », le second précise « Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie , le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l' éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ». Ces dispositions font peser sur le vendeur une double obligation : de ne pas porter lui-même atteinte à la propriété, à la possession ou à la détention de l'acheteur et empêcher qu'un tiers, invoquant un droit sur la chose, ne vienne contester le droit cédé à l'acheteur.
La récente décision de la Cour de Cassation du 30 novembre 2022 (n°21-20.033) apporte de redoutables précisions à l’endroit de la revendication des tiers.
Il y était question en effet de propriétaires ayant fait l’acquisition d’une maison d’habitation et d’une piscine hors sol, piscine dont qu’ils apprirent seulement par la suite qu’elle empiétait sur un terrain voisin. Ils ont dès lors intenté une action sur le fondement précisément de la garantie d’éviction, puisqu’ils estimaient que le vendeur ne les avait pas préservés du fait des tiers.
Or, la troisième chambre civile – comme d’ailleurs la cour d’appel de Basse-Terre, rejette leur argumentation, en estimant que « l'existence d'un trouble de droit actuel subi par les acheteurs n'était pas établie ».
Position de prime abord quelque peu étonnante. Comment un contentieux relatif à un empiètement ne serait-il pas source de « trouble de droit actuel » ? Surtout lorsque l’on sait les conséquences d’un empiètement reconnu, dont la résolution, si elle doit conduire à la démolition intégrale de l’ouvrage empiétant, est nécessairement ordonnée.
Il convient de se reporter plus en profondeur sur les termes mêmes de l’arrêt attaqué qui a fait l’objet d’une confirmation.
Les demandeurs au pourvoi lui reprochaient notamment de ne pas tenir compte d’une mise en demeure émise par la propriété voisine aux fins de « prendre les mesures nécessaires pour retrouver les limites » qui étaient les leurs. Relancé en 2016.
Pour la cour d’appel, pareilles mises en garde n’étaient pas constitutives d’un « trouble actuel », arguant même que la prescription acquisitive abrégée pourrait trouver à s’appliquer, et qui aurait pour effet d’empêcher tout contentieux relatif à l’empiètement, puisque la parcelle litigieuse serait alors la propriété de l’empiétant.
À ceci près que l’on peine à voir comment les conditions propres à ce mécanisme pourraient s’appliquer, dès lors qu’elles comprennent l’exigence d’une possession paisible des lieux.
Quand on commence à s’adresser des menaces de saisir la justice, l’ambiance apparaît difficilement paisible.
Qui plus est, faut-il le rappeler, que l’action en revendication de propriété face à un empiètement est imprescriptible.
Pourtant, du fait de l’absence de toute saisine juridictionnelle à cet effet, le trouble n’est pas considéré comme suffisamment actuel, et donc, ne peut entraîner l’enclenchement de la garantie d’éviction à l’endroit du vendeur.
Il est vrai que cette condition d’actualité n’est pas nouvelle. Dès 1891, la jurisprudence rappelait que la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers à même de pouvoir l'évincer ne suffisait pas à lui permettre d'agir en garantie.
Pour que le trouble de droit soit actuel, il fallait donc que le tiers ait manifesté clairement son intention de faire valoir son droit sur la chose.
Pourtant, la révélation d'une telle intention n’est pas nécessairement sous la forme d'un acte judiciaire.
En cela, la chambre des requêtes avait pu estimer dans une décision du 5 avril 1881 qu'au cas où le droit du tiers sur le bien vendu est incontestable – comme c’est le cas en matière d’empiètement – le délaissement volontaire de celui-ci par l'acheteur, afin d'éviter un procès, n'empêchait pas ledit acheteur d'invoquer la garantie contre son vendeur.
Plus encore, dans une décision rendue le 26 juin 1900, la même chambre avait admis l'acheteur à agir en garantie dès lors qu'il disposait d’un « juste sujet de craindre une éviction ».
Cependant, petit virage qui a toute son importance, la troisième chambre civile, dans un arrêt du 4 juillet 1968, avait tenu à préciser que « la découverte d'un droit invoqué en justice par un tiers sur la chose vendue, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur, constitue un trouble actuel, et obligeant de ce seul fait le vendeur à en garantir l'acquéreur ; ce trouble existe avant même qu'intervienne un jugement le constatant ».
« Invoqué en justice par un tiers sur la chose vendue » : rien n’a donc changé depuis 1968.
Du moins, pas sur cet aspect de la garantie d’éviction.
Il y a une certaine logique à se montrer strict sur le caractère « actuel » du trouble allégué.
Après tout, s’il n’est qu’hypothétique, il existe des mécanismes garantissant la paix civile – telle la prescription – qui peuvent suffire à empêcher toute revendication des tiers.
Et s’il n’y a rien à revendiquer, il n’y a pas lieu à rechercher la responsabilité du vendeur.
Reste toutefois que dans le cas d’espèce – pas si extraordinaire que cela – on se trouve en présence d’un trouble qui ne peut pas pour autant être qualifié d’hypothétique. Il y a eu plusieurs mises en demeure et les mécanismes de la prescription – qu’elle soit extinctive ou acquisitive – est plus que compromis.
En réalité, la Cour de Cassation, s’inscrivant effectivement dans une logique déjà âgée de plus de cinquante ans, oppose aux demandeurs au pourvoi un argument… formel.
L’actualité du trouble n’existerait qu’en présence d’une action en justice. Et pas autrement.
Curieuse conception de la résolution des litiges, notamment deux ans après une réforme de la procédure civile ayant particulièrement mis l’accent justement sur les moyens alternatifs au jugement.
Faut-il en comprendre que la tactique procédurale des tiers a ainsi une influence sur le droit des victimes d’une éviction ?
Impressionnés par les termes d’une mise en demeure, convaincus à la suite d’une conciliation amiable, ou simplement désireux de ne pas avoir à subir des frais de procédure, acceptent d’obtempérer aux justes réclamations de leur voisin, les acheteurs se verraient empêchés d’engager la responsabilité du garant ?
Cette décision du 30 novembre 2022 apparaît dès lors tout à la fois parfaitement logique dans son raisonnement et cependant diamétralement opposée à la tendance actuelle.
Tendance dont l’irrespect par les justiciables est sévèrement punie. Tendance qui n’avait pas attendue le législateur pour être bel et bien entamée par la jurisprudence.
Ainsi donc, nouvelle incohérence que les praticiens du droit doivent néanmoins appréhender, au risque d’engager leur responsabilité.
Cet article n'engage que son auteur.
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