Avocat au Barreau de SAINT-GAUDENS
Responsabilité agent immobilier

Responsabilité de l’agent immobilier face à l’insolvabilité du vendeur

Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le : 11/09/2023 11 septembre sept. 09 2023

La Cour de Cassation a rendu un arrêt le 28 juin dernier (n°21-21.181) qui n’est pas totalement passé inaperçu :

« Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

18. Il résulte de ce texte que, si la restitution du prix par suite de l'annulation du contrat de vente ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, l'agent immobilier dont la faute a concouru, au moins pour partie, à l'anéantissement de l'acte peut être condamné à en garantir le paiement en cas d'insolvabilité démontrée du vendeur.

19. Pour rejeter la demande de l'acquéreur formée contre l'agent immobilier et tendant à la réparation du préjudice lié à l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de vente du fait de l'insolvabilité du vendeur, l'arrêt retient que la perte du bien immobilier découle du seul choix procédural de l'acquéreur de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur et est étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier.

20. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'agent immobilier avait commis une faute sans laquelle l'acquéreur ne se serait pas engagé et que le vendeur était placé en liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Après la décision sur l’amiante, en voici une nouvelle qui accable encore une fois les professionnels de l’immobilier.

Donc, si un agent immobilier commet une faute dans la réalisation d’une vente, il peut être condamné à relever et garantir le vendeur principalement fautif si ce dernier est insolvable.

C’est le principe de la solidarité entre les fautes, peu important au vu du créancier leur ampleur respective, les fautifs se répartiront à terme la charge définitive de ce qui est dû.

Somme toute, rien de si innovant.

Reste la question du cas d’espèce, et de ladite faute reprochée à l’agent immobilier.

« […] après avoir constaté que l'acheteuse avait été victime d'un dol, que l'exploitation du village […] était déjà déficitaire à la date de la signature du contrat de réservation, que l'agent immobilier ne l'avait pas informée des aléas financiers de l'opération et que si l'acheteuse avait été informée de ces aléas, elle ne se serait pas engagée dans cette opération, ce dont il résulte que la faute de l'agent immobilier constituait la cause directe du préjudice résultant pour l'acheteuse de l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix de la vente en raison de l'insolvabilité du vendeur »

On comprend le dol imputable au vendeur placé en liquidation judiciaire, la dissimulation de l’état déficitaire de l’exploitation.

Quid de l’absence d’avertissement aux aléas financiers ? Entre professionnels ?

Là encore, il va falloir remonter à l’arrêt de la cour d’appel, car ça paraît curieux. 

En plus, elle vient de chez moi ! Cour d’appel de Toulouse, 30 novembre 2020 (n°15/04774) :

« La sécurité du placement constituant pour Mme Z une caractéristique essentielle de son investissement dont l'objectif immédiat n'était pas de profiter elle-même d'un chalet à la campagne, il en résulte que si elle avait été exactement informée sur les caractéristiques les moins favorables de l'investissement proposé et sur les aléas financiers corollaires des avantages annoncés, elle ne se serait pas engagée dans cette opération. 

Il en résulte qu'elle n'aurait pas supporté les frais de vente à hauteur de 3.678 €, le jugement entrepris devant être confirmé en ce que le premier juge a condamné la Sas Winner Winner à lui payer ladite somme à titre de dommages et intérêts. 

Il en résulte aussi qu'elle ne se serait pas engagée dans la réalisation d'un prêt pour assurer le financement de l'acquisition et n'aurait pas investi en pure perte la somme de 69.629,33 € dont elle reste aujourd'hui débitrice envers la Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou Charentes telle que définie ci-dessus après compensation, au titre de ce prêt, correspondant à la différence entre le capital emprunté pour financer l'acquisition et les échéances et frais que le prêteur doit lui restituer, somme qu'elle ne peut recouvrer contre son vendeur insolvable des suites de sa liquidation judiciaire

La perte du bien immobilier découle en revanche du seul choix procédural de Mme Z de maintenir sa demande de nullité de la vente nonobstant l'état de liquidation judiciaire de son vendeur et est étrangère à la faute imputable à l'agent immobilier. »

C’est donc que les conseillers en appel ont bien retenu la faute, étant donné la « caractéristique essentielle » que constituait la « sécurité du placement », mais qui n’a donné lieu qu’à l’indemnisation des frais de vente proprement dit, pas de la perte du bien immobilier en lui-même.

La Cour de Cassation, sur la même faute, lui donne de toutes autres conséquences, et ce malgré le fait que la mise en liquidation du vendeur ne puisse être imputable à l’agent immobilier.

En même temps, l’agence immobilière s’appelait « Winner-Winner ». 

Ainsi donc, le problème posé relève de règles classiques : avons-nous à faire à des fautes distinctes engendrant des préjudices distincts, ou bien à un ensemble de fautes constituant un ensemble de préjudices ?

Cela peut s’entendre puisque la faute du vendeur était dolosive, l’absence d’avertissement de l’agence peut s’y confondre, puisque une dissimulation est bien de même nature. 

Reste que s’il y a eu recadrage de la part de la Cour de Cassation, la solution concrète demeure à venir. À la cour de Montpellier de la définir !


Cet article n'engage que son auteur.

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