Clarté et précision d’une clause désormais obsolète : la charge sur le preneur des grosses réparations
Auteur : MOUNIELOU Etienne
Publié le :
19/05/2023
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Il est de ces sempiternels sujets qui reviennent constamment sur le propos de qui doit faire quoi au sein d’une relation contractuelle. Le droit locatif ne fait aucunement exception, et l’un des plus emblématiques, c’est celui de la répartition de la charge des réparations entre bailleur et preneur. Les articles 1720 et 1754 du Code civil, inchangés depuis 1804, énoncent en ce sens :
« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. »
« Les réparations locatives ou de menu entretien dont le locataire est tenu, s'il n'y a clause contraire, sont celles désignées comme telles par l'usage des lieux, et, entre autres, les réparations à faire :
Aux âtres, contre-coeurs, chambranles et tablettes de cheminées ;
Au recrépiment du bas des murailles des appartements et autres lieux d'habitation à la hauteur d'un mètre ;
Aux pavés et carreaux des chambres, lorsqu'il y en a seulement quelques-uns de cassés ;
Aux vitres, à moins qu'elles ne soient cassées par la grêle ou autres accidents extraordinaires et de force majeure, dont le locataire ne peut être tenu ;
Aux portes, croisées, planches de cloison ou de fermeture de boutiques, gonds, targettes et serrures. »
L’important évidemment, c’est le « s’il n’y a clause contraire ».
Justement, en matière locative, il y a très très très souvent… un bail. Donc, des clauses. Des clauses contraires ?
Précisément.
L’affaire qui nous intéresse a donné lieu à un arrêt de la troisième chambre civile en date du 16 mars dernier (n° 21-25.106), dans laquelle un locataire se plaignait de devoir contribuer aux dépenses relatives à la réparation de la toiture d’un local commercial.
Pourtant, ces aspects se rapportaient à la toiture de l’immeuble, classiquement exclue de la liste des réparations locatives. On ne peut pas dire en effet qu’il s’agisse là de « menu entretien ».
Néanmoins, la cour d'appel d'Agen avait estimé que la clause insérée dans le bail commercial mettait bien à la charge du preneur pareille contribution aux charges des parties communes et d’utilité collective.
Forcément, une toiture, cela sert à tout le monde.
Sauf que :
« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si une clause claire et précise mettait à la charge de la locataire les travaux de réfection de la toiture du centre commercial, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
Alors, la clause en question, c’est celle-ci :
« Le preneur contribuera notamment aux charges des parties communes et/ou d'utilité collective telles que ces charges sont décrites ci-après à titre indicatif.
A titre énonciatif et non limitatif, il est précisé que les charges des parties communes et/ou d'utilité collective qui seront remboursées par le preneur au bailleur comprendront notamment sans que cette liste soit limitative :
- (...)
- Les charges et prestations et toutes dépenses d'exploitation, de réparation et d'entretien, de ravalement, de décoration, de remplacement, de rénovation et d'amélioration afférentes aux parties communes et/ou à usage collectif du Centre Commercial et de ses abords, des parkings, espaces verts et des VRD, y compris les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil, quand bien même ces dépenses résulteraient de la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l'administration, par une injonction municipale, et/ou par la réglementation actuelle ou future.
- L'entretien, les réparations, la création, la vérification, la rénovation, la modernisation, les remplacements de toute nature des équipements du Centre Commercial et de ses abords y compris des parkings ayant un caractère obligatoire ou non, y compris les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil, quand bien même ces dépenses résulteraient de la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l'administration et/ou par la réglementation actuelle ou future (équipements électriques, chauffage, climatisation, réseau de sprinklage, nappe haute et nappe basse, ascenseurs, de PC sécurité, escalators, monte charges...). »
En défense, la locataire faisait valoir en appel que :
« L'article 6.1 est ambigu et illicite : Les travaux de toiture ont consisté à l'enlever totalement pour procéder à son remplacement, ce qui n'est pas prévu par cet article et aboutit à un défaut de délivrance de la chose prise à bail. »
Evidemment, quand on n’est pas dans le dossier, très impétueux de se risquer à un avis, mais… le terme « remplacement » semble pourtant être bien présent dans la clause litigieuse.
Devant la Cour de Cassation, l’argumentation déplorant l’absence de « clause expresse » était reprise, la « réfection de la toiture » n’étant pas prévue dans cet article.
A minima, on devra reconnaître que la cour d’appel ne manquait pas d’arguments pour aller en sens inverse.
Pour autant, la décision de la troisième chambre civile s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle.
Déjà, dans un arrêt du 6 mars 2013, elle rappelait :
« Qu'en statuant ainsi sans constater que des stipulations expresses du contrat de bail commercial mettaient à la charge de la locataire les travaux de ravalement, de toiture et de chauffage collectif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »
C’est qu’en réalité, l’enjeu de ces clauses est tel qu’il relève de la conformité à la destination même des lieux loués.
Et qu’en cela, l’interprétation ne peut qu’être qu’extrêmement restrictive. C’est d’ailleurs rappelé à l’article 1192 du Code civil.
Démonstration dans une décision plus ancienne encore, du 10 mai 1991, rendue par la même chambre :
« Qu'en statuant ainsi, alors que la clause mettant à la charge du preneur les grosses réparations et celles de la toiture n'exonérait pas le bailleur de la réfection de cette dernière, dès lors qu'elle était totale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; »
Les jeux étaient donc déjà faits.
Reste à savoir cependant si la clause était « claire et précise », puisqu’il est reproché à la cour d’appel de ne pas s’être interrogée sur cet aspect, n’ayant retenu en vérité que sa licéité.
Aussi, c’est à ce moment de l’article qu’il faut rappeler que cette question est devenue obsolète.
En effet, si l’enjeu demeurait entier dans cette affaire, c’est parce que le bail avait été conclu en 2009.
Mais en 2014 fut inséré dans le Code du commerce l’article R. 145-35 qui dispose :
« Ne peuvent être imputés au locataire :
1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;
2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent ; […] »
Il n’en demeure pas moins que si ce contentieux est appelé à se réduire, nombre de baux demeurent régis par les anciennes dispositions et donc par la jurisprudence qui y est relative.
Dès lors, suite de cette affaire à surveiller.
Cet article n'engage que son auteur.
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